Dernier épisode de notre série sur les canaux réalisée grâce aux Archives générales du Royaume qui ont inventorié et mettent à la disposition du public les archives sur le canal du Centre et le canal Bruxelles-Charleroi. Ce cinquième épisode évoquera entre autres un problème toujours actuel : la cohabitation entre les différents usagers des chemins de halage.
La vie le long des canaux n’a jamais été comparable à celle au bord d’un long fleuve. La construction du canal a entrainé son lot de drames et de requêtes. Le danger était partout.
« En fait, ce qui est intéressant », nous fait remarquer Joffrey Liénart, l’archiviste auteur de l’inventaire, « c’est qu’on a l'habitude de voir les archives administratives comme un peu sèches, éloignées de l'émotion et en fait non. Les archives administratives révèlent l'intimité des riverains du canal. On voit, à travers des plaintes, peut-être de détresse un peu larmoyantes, ce qui fait le quotidien des gens d'en bas et révèle des situations à peine imaginables au XXIᵉ siècle, comme des photographies de l'époque. »
Fin 1900, le pauvre Alphonse Lebleu fait une chute mortelle sur le chantier à Houdeng-Aimeries. La famille dénonce « un défaut de lumière réglementaire ».
Sa veuve, Léocadie Storet, 64 ans « qui doit vivre de privation pour ne pas mourir de faim » fait écrire au ministre pour obtenir une indemnité. La missive ne peut le laisser indifférent au sort de Léocadie : « Elle tient à vous prier, monsieur le Ministre, de vouloir bien donner les instructions d’urgence étant donné la triste position dans laquelle elle se trouve, sans ressources et à deux pas de la plus profonde misère. »
Le ministre des Travaux publics devra aussi se pencher sur le cas de la Veuve Siot. En 1919, au décès de son mari, Gustave, cantonnier sur le canal, elle lui écrit : « Je sollicite votre haute bienveillance ». Et demande de pouvoir occuper la maison éclusière de Ronquières jusqu’à la nomination définitive d’un nouveau cantonnier.
Les cantonniers, les pontiers, les éclusiers faisaient partie des métiers du canal, comme celui très pénible des haleurs.
« Ce sont les utilisateurs directs du canal et c'est tout à fait normal qu'ils apparaissent très régulièrement dans les dossiers parce qu'il y a des revendications, notamment pour le tunnel de la Bête refaite ou de Godarville qui pouvaient être très pollués et l'air irrespirable pour ces gens qui continuaient à utiliser des chevaux. Quand la motorisation est arrivée, ça pouvait créer des conditions de travail vraiment pénibles », précise l’archiviste houdinois.
On comprend leurs plaintes quand leur lourd labeur était entravé. Après la première guerre les conflits se multiplient avec les cyclistes et les motocyclistes qui circulent le long du canal.
« Ceux qui utilisent ces engins le long des voies navigables sont d’un sans-gêne et d’une désinvolture sans pareil, ils font fi des récriminations des haleurs », déplore un fonctionnaire. Il suggère au ministre l’instauration d’une taxe pour les deux roues qui empruntent le canal, « ce qui constituerait une nouvelle ressource pour les caisses de l’Etat ».
Proposition sèchement reçue : « La question a déjà été soulevée et écartée ».
E. Verhelle